Interview in The Good Life

 

GOOD LOOK

FALBALAS & CINÉMA

explosion
d’un genre (presque) nouveau

Tout le monde s’y met. Des géants, comme Dolce&Gabbana et Yves Saint Laurent, à des créateurs plus confidentiels, comme Goldknopf Couture ou Willems Wonderglasses, tous ont aujourd’hui leur film de mode. Un ovni, sorte d’hybride entre spot publicitaire et film d’art dont le vêtement est le (seul) héros.

Par David Dibilio

Qui a pu échapper au film de Jean- Jacques Annaud avec Charlize Theron pour Dior, donnant du même coup une seconde vie au tube de Gossip, Heavy Cross ? Pour la collection Marni pour H & M, c’est Sofia Coppola qui avait livré un spot aux couleurs dorées au bord d’une piscine qui n’était pas sans rappeler son dernier long métrage, Somewhere. Depuis une dizaine d’années, grâce à la commu- nication virale, le film de mode a envahi tous les écrans, de la tablette au smart- phone, devenant une arme marketing très efficace. Sur une plate-forme comme YouTube, certains de ces films ont été vus des dizaines de millions de fois (47 mil- lions annoncés pour le film sur Thierry Mugler avec Lady Gaga !). Sommes-nous face à un phénomène nouveau ? Les épou- sailles du film et de la mode n’ont-elles pas cependant eu lieu il y a déjà bien long- temps, le buzz et le clic en moins ?

En 1966, William Klein réalise Qui êtes- vous, Polly Maggoo ?, une comédie dont un mannequin vedette est l’héroïne. En 1970, avec Portrait d’une enfant déchue, Jerry Schatzberg met en scène la gloire et les déboires d’un top-model incarné par Faye Dunaway. On pense aussi au Blow Up, d’Antonioni (1966), au Prêt-à-porter,

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de Robert Altman (1994), et au Diable s’habille en Prada, de David Frankel (2006). Dans la publicité, Jean-Paul Goude, dans les années 80, n’a-t-il pas été le réalisateur dont la marque de fabrique était justement de mêler mode et image en mouvement ? Côté documentaire, plus récemment, il y a eu L’Amour fou, de Pierre Thoretton, sur la relation entre Pierre Bergé et Yves Saint Laurent (2010) ou The September Issue, de R. J. Cutler (2009), qui suivait la rédactrice en chef Anna Wintour dans les coulisses du Vogue amé- ricain. Autant de films dont la mode était le sujet ou le décor. Des films « sur » la mode. Certes. Mais pas encore des films « de » mode. Encore moins des films au service exclusif d’une marque.

1. MARNI AT H&M, DE SOFIA COPPOLA POUR MARNI CHEZ H&M (2012).

2. YVES SAINT LAURENT S/S12,
DE DAVID SIMS POUR YVES SAINT LAURENT (2012).

3. A THERAPY, DE ROMAN POLANSKI POUR PRADA (2012).

4. GET BACK, STAY BACK, DE NICK KNIGHT (2012).

«Le film de mode est un film dont la mode est le protagoniste et non pas seulement l’ob- jet », explique Diane Pernet, blogueuse, fondatrice et programmatrice du festival A Shaded View On Fashion Film (ASVOFF). A Paris, l’ASVOFF, dont la 5e édition a eu lieu en novembre dernier au Centre Pompidou, propose une cen- taine de films, longs et courts métrages, documentaires. Il permet de définir davantage les contours du film de mode, même s’il suffit que l’on colle une éti- quette sur un genre pour que, déjà, son sens s’en échappe et évolue. Diane Pernet aime à dire qu’il en existe plusieurs défi- nitions, que « cela prendra du temps pour en dessiner exactement les contours ». La sélection internationale et le palmarès de son festival font référence et dressent la carte de ce qui se fait de mieux en la matière. Pour elle, nous sommes face à une forme d’art appliqué relativement nouvelle, mais qui contient un potentiel énorme car elle se nourrit à la fois de la puissance du cinéma et de celle de la mode. « Cela génère tout un business pour les marques. Leur format étant encore expé- rimental, cela leur permet aussi de montrer une autre facette, plus créative ou plus informative, impossible à déployer dans le cadre d’une communication institution- nelle ou de masse. »

La mode étant par nature un concept à la fois éphémère et frappant, ces films sont souvent des courts métrages dont la durée varie entre trente secondes et cinq minutes. Si l’on considère que leur budget moyen est d’environ 100 000 euros tout compris, de la production à la diffusion, il ne faut pas s’étonner que tous y viennent. On voit donc des marques inconnues du grand public s’offrir des campagnes, ce qui donne un effet loupe sur un genre qui fait florès. A l’autre bout de la chaîne, c’est toute l’industrie de l’image qui tire les

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5. ET 9. HORS D’ŒUVRE, DE MONICA MENEZ POUR GOLDKNOPF COUTURE (2012).

6. ET 7. LANVIN FALL 2011 CAMPAIGN, DE STEVEN MEISEL (2011).

8. LOUIS VUITTON SPRING SUMMER 2013, PAR RUTH HOGBEN POUR LOUIS VUITTON (2012).

bénéfices de ce phénomène dont on ne voit, pour l’instant, que la pointe émergée de l’iceberg. Pour répondre au besoin croissant des marques et des annonceurs, une célèbre agence de créatifs comme Art + Commerce a ouvert à New York un département dédié, dirigé par Ziggy Le Vin, qui compte cinq réalisateurs. Ziggy Le Vin met en lien les marques, les réalisateurs et les agences de publicité et assure tout le suivi de production, depuis le brief de client jusqu’à la livraison du film. «Nous sommes tous au service de la mode, c’est un travail d’équipe. Tout, dans la fabrication d’un film, est important, du maquilleur au mannequin en passant par le stylisme. Nous avons besoin de tous les talents. » Art + Commerce a travaillé pour les plus grands : Prada, Balenciaga, Raf Simons, Margiela, Gareth Pugh, Lady Gaga, Kanye West. Mais aujourd’hui, ce sont ses poulains qui deviennent des stars. Ils se nomment Marco Brambilla, Pierre Debusschere ou Ruth Hogben, l’ancienne assistante de la star britannique Nick Knight. Comme lui, justement, il y a ceux qui viennent de la photo. Nick Knight a été l’un des tout premiers à entrevoir les possibilités de l’ère digitale qui s’ouvrait au début des années 2000. Les photographes de mode ont été naturellement les pre- miers à passer à l’image en mouvement : les incontournables Inez and Vinoodh (Dior, Mugler), Mert and Marcus (Givenchy), Steven Meisel (Lanvin) ou encore David Sims (Alexander McQueen, Yves Saint Laurent…). Et puis il y a ceux qui viennent du cinéma, on l’a vu, comme Jean-Jacques Annaud ou Sofia Coppola. Et enfin, plus récemment, une jeune géné- ration, pour qui le film de mode est la première discipline, comme les Français Cyril Guyot (Dolce & Gabbana) et Jean- Claude Thibault, qui s’est fait remarquer avec ses films pour Hermès.

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Face à l’explosion du genre, certaines écoles d’art proposent même des forma- tions spécifiques. A New York, la School of Visual Arts, qui accueille chaque début d’année le New York Fashion Film Festival (NYFFF) a créé un Master of Professional Studies (MPS) en photographie, qui forme au film de mode. Cette formation intensive d’une durée de un an permet aux étudiants de rencontrer et de recevoir les conseils des meilleurs professionnels : photographes, réalisateurs, retoucheurs, éditeurs. L’objectif est de jeter un pont entre culture et commerce, art et publi- cité, culture cultivée et culture populaire, photo et image en mouvement. Comme la mode a toujours quelques saisons d’avance, l’avenir est assuré. s

Monica Menez

C’est l’une des rares femmes dont l’étoile brille dans une galaxie bien

masculine. Pas encore superstar, mais très bien cotée, Monica
Menez est une réalisatrice à suivre. En quelques films ultrasophistiqués
et extrêmement féminins, cette Allemande a su imposer sa griffe. Avec un film ultrasexy pour Willems Wonderglasses, un autre pour Hugo Boss et
Hors d’œuvre pour Goldknopf Couture, primé au dernier ASVOFF, Monica Mendez est aujourd’hui

une artiste qui compte. Après avoir commencé par la photo de presse, elle se consacre totalement à la mode en 2002. Le film, elle y arrive

un peu plus tard, assez naturellement.

« Internet a bien entendu tout bouleversé. Beaucoup de magazines utilisent le web pour compléter
et enrichir leur offre d’images
de collection. En mouvement, l’image contient plus d’émotion. Et puis,
il y a les progrès techniques.
Il est clair qu’un appareil comme
le Canon 5D a permis de faire
des films de très grande qualité sans beaucoup d’efforts et de nombreux photographes de mode se sont ainsi mis à filmer pendant les séances. »
Dans cet espace si particulier entre art et publicité, Monica Menez se sent bien, elle y déploie toute sa créativité, même si, bien entendu, « la limite est toujours fixée par le client ».

www.ashadedviewonfashionfilm.com www.monicamenez.de www.artandcommerce.com

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PHOTOS : DR